J’écris ce post pour une amie, Marie-Pierre, qui sponsorise mon travail artistique, et pour ma maman qui me soutient depuis tellement longtemps. Malgré la distance qui nous sépare, c’est elle qui paie mes frais d’immigration, très, très coûteux. Pour elles deux, j’écris en français.
Le mardi 16 juillet, j’ai visité l’expo Camille Claudel au musée du Getty. C’est une toute petite exposition d’une heure de visite, guère plus, mais très représentative de la femme artiste. C’est une colocataire japonaise qui m’a déposée au musée et hier soir, elle me disait qu’elle aussi voulait voir cette expo. “Elle était folle” me dit-elle pleine de certitudes. Je me suis sentie le besoin de devenir loquace car je trouve outrageux que le cinéma, le public, ne connaissent Camille Claudel qu’au travers des fictions.
Qu’est-ce donc la folie d’une femme qui taille le marbre au XIXe siècle ? Comment les femmes d’aujourd’hui peuvent-elles se permettre de juger ? Qu’ont-elles fait de leur vie pour se permettre de juger ? Comment les femmes modernes peuvent-elles laisser les hommes modernes juger, les cinéastes, les producteurs ? J’avoue avoir un lot d’amertume sur les accomplissements de cette colocataire qui me rendent intolérante à ses remarques. Même s’il s’agit de Camille Claudel, cela me touche, parce que d’autres choses me touchent dans l’amalgame des aigreurs, les petites piques, les petits coups de tenaille. Je ne suis pas de marbre face à l’outrecuidance et je fais ciseaux sur l’ignorance.
En ce moment, j’ai tellement envie de sculpter et je me sens tellement prisonnière de l’agacement que certaines personnes m’inspirent. C’est comme un poison et cette colocataire m’empoisonne par son incompétence, sa légèreté, ses manipulations, son jeu sournois, les abus. Elle veut que je lui donne des cours, je ne veux pas. Je fais déjà tellement pour elle. Beaucoup trop. Je suis allée au Getty pour m’échapper. Je n’ai pas envie de parler avec elle. Je n’ai pas envie de parler de Camille Claudel avec elle, je veux garder cela pour mes vrais amis, ceux avec qui j’ai des souvenirs de l’enfance, de l’adolescence, de la vie. Ma vie de femme à l’école.
L’expo Camille Claudel commence par des bustes. Je pense que dans la carrière d’un artiste, représenter le visage des personnes est la première des démarches, avant le corps et les expressions artistiques. Dans la deuxième salle, on découvre des études, le rire, la main, le pied et Rodin. Le maître dans la salle de classe.
Camille est née le 8 décembre 1864. Elle est morte le 19 octobre 1943 après avoir été internée à la demande de son frère lorsqu’elle n’était âgée que de 49 ans. Leur père venait de mourir, lui qui avait soutenu toute la carrière de Camille. C’est Paul, son frère cadet, un artiste, un poète, qui a pris cette décision. La vie d’une femme mise à l’exergue pour dissimuler son épreuve, permettre à l’homme sa réussite. Toute l’œuvre de Camille raconte cela, la difficulté d’être femme. L’exposition du Getty exprime la douleur, les choix de vie, les blessures, les trahisons.
À certains endroits, je m’identifie à Camille, comment gérer cette flamme intérieure qu’on appelle l’art. “On appelle”… Les artistes ne l’appellent pas. C’est en eux, cela les déchire, cela passe comme l’eau au travers des brèches pour flotter au travers des doigts agiles. Cela déteint l’âme, la soif, la vie et comme un animal sauvage, cela se dresse. Comment une femme du XIXe siècle pouvait-elle savoir que cette flamme est brûlante, qu’elle dévore, qu’elle consume, qu’elle absorbe les choses de la vie comme un long réveil. Les yeux n’en finissent pas de s’éveiller quand on est artiste et le besoin, l’attraction secrète de l’idée, de l’inspiration, ramasse le temps comme une faux. Les artistes ont autant de vies que de soupirs lorsqu’ils accomplissent leurs œuvres. Ils renaissent comme le phénix en surmontant leurs tourments.
Exister dans un métier d’homme devait être une épreuve et comme les soldats, on ne juge pas les victoires aux blessures. On ne juge pas l’artiste femme à ce que les hommes ont laissé sur elle de leurs stigmates, de leur patte, de leur incompréhension. La sculpture est un travail de passion. La poésie est un travail de raison. La sculpture est un travail physique. La poésie est un travail de chambre. Camille est si actuelle dans son combat de femme. Son muscle a laissé les beautés de son époque exister, sa résistance. Si elle n’avait pas de mots, ses mains ont laissé sur les visages des visiteurs une marque de beauté, la curiosité, parfois l’admiration. Combien auront-ils compris ?
Peut-être que moi-même je ne comprends pas, j’interprète, mais comme une femme qui elle aussi a combattu, elle aussi est parfois incomprise et pourtant, elle aussi questionnée pour ce qu’elle cherche à accomplir. La vie est parfois faite d’engagements pour certains, où le succès dérive de sa route habituelle. Que serait devenue Camille si elle avait été mère, épouse, modèle de la société ? Aurait-elle côtoyé les anges et nous aussi à travers elle ? Nous aurait-elle autant émus, interrogés, surpris, nous aurait-elle parlé ?
Cette exposition est un poème à ciel ouvert, comme une architecture, comme une marelle où l’on rentre à cloche-pied. Le silence s’installe, quelques murmures s’aventurent mais de respect, la scène des visiteurs se met en prière comme devant les morts. On passe en se souvenant par nos vies d’autres souvenirs qui rendent Camille tellement réelle, tellement vivante, tellement talentueuse et audacieuse à la fois. Le gisant de l’art s’incruste dans nos corps, on se fige devant les visages inconnus. Que Camille les ait connus les rend tellement familiers.
Camille, petite Camille dans son costume d’artiste. Il suffirait de la voir comme son père la regardait pour bien voir qu’elle n’était pas folle. Elle était victime d’une société, précurseur à bien des égards dans son art, son audace de l’art, son appropriation du talent. Elle façonne du bout des doigts les corps nus, elle supporte à bout de bras ses ciseaux, elle martèle dans la position des Maîtres antiques et transmet un style édifiant. La valse transpire l’audace. La Niobide blessée interpelle les enfants. Comment l’instant s’arrête-t-il sous les doigts d’un esprit agité autrement qu’en faisant naître quelque chose. Le ventre arrondi, la blessure augmente les contre-jours pour faire naître l’art dans les cœurs innocents. On voit la femme dans son épreuve, l’esquisse des temps modernes.
Camille au foyer et une âme qui cherche, qui pense, qui médite, qui éprouve, qui mélange la claie aux casseroles et s’alimente du feu, l’ardeur des conquêtes, la chaleur de la lumière, la force de l’homme sans l’homme, la femme dans sa découverte, le continent insulaire de la femme sur soi. Se voit-elle artiste quand elle crée le feu ? Voit-elle en son âme ? Entend-elle comme celui qui écoute ?
Camille Claudel est une artiste incomparable et oui, le courage est souvent une folie. Le courage confronte les traditions dans un ciel précurseur des tonnerres. Camille est entrée à l’asile la veille de la première guerre mondiale. Elle est morte durant la seconde. Alors que l’institution lui ôtait tous ses outils, Camille sombrait d’être femme, elle était mutilée de son verbe, de sa parole, de son expression. Son style a disparu comme l’Âge de Maturité, la femme suppliant l’homme.
Camille à l’apogée de son art cassa ce qu’elle avait créé, l’infanticide de l’œuvre. Finalement, c’est le poète qui y vit un coup de folie. La mère de Camille l’abandonna. Camille passa plus de 30 ans à l’asile, interdite de créer, interdite de sortir, interdite d’être réhabilitée par une famille dans le reniement. Camille fut jetée à la fosse commune de l’asile, éternellement vissée à l’institution, son histoire, sa fin, mais le roman de Camille est dans la vie de son art, le public silencieux, la posture du recueil, la ferme habitude du soupir lorsqu’on regarde l’œuvre des artistes méprisés, comme une leçon de vie. Finalement, la beauté n’a pas d’état d’âme quand on l’exulte, elle infuse le murmure de l’artiste comme une seconde vie. La folie serait de ne pas se laisser transporter.
L’impudeur de Camille est ce que l’époque dénonce de fou. Une femme, cet “être sans âme”, avait osé se mesurer aux grands hommes, eux qui avaient sculpté le corps des femmes depuis la préhistoire comme Adam de sa côte. Les Vénus avaient une généalogie patriarcale, représentant la femme dans son simple élément. Camille osa la technique pour dire quelque chose de différent, avec émotion. La femme blessée, la femme chagrin, la femme dans son angoisse et ses tourments. L’être biologique, fragile, rendu réel par trop de vérité. Le puritanisme familial chassa cette Ève de son paradis, mise au tourment pour toujours.
Pour finir, quelques mots de Chat-GPT. J’ai demandé : “Quels sont les artistes les plus proches du style de Camille Claudel, et quel est son heritage?”. Voici la réponse:
Camille Claudel, principalement connue pour sa sculpture, s’est illustrée par un style qui fusionne réalisme, naturalisme et expressivité émotionnelle. Voici quelques artistes dont le style et l’héritage peuvent être rapprochés de celui de Camille Claudel :
Artistes contemporains et influents dans son style :
- Auguste Rodin (1840-1917)
- Lien : Rodin a été le mentor et l’amant de Claudel. Leur collaboration a été intense et a influencé fortement le travail de Claudel. Les sculptures de Rodin comme “Le Penseur” ou “Les Bourgeois de Calais” partagent avec celles de Claudel une profondeur émotionnelle et un dynamisme dans la forme.
- Jules Dalou (1838-1902)
- Style : Dalou, comme Claudel, travaillait dans un style réaliste et naturaliste, souvent avec une expressivité émotionnelle prononcée. Ses œuvres sont marquées par une attention particulière aux détails et à la texture, des caractéristiques que l’on retrouve également dans les œuvres de Claudel.
- Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875)
- Style : Carpeaux était connu pour ses œuvres vivantes et expressives, souvent pleines de mouvement et d’émotion. Ses sculptures, comme “La Danse” à l’Opéra de Paris, montrent une attention au détail et à la dynamique humaine qui se rapproche de celle de Claudel.
Héritage de Camille Claudel :
- Représentation de la condition féminine :
- Claudel a brisé les normes traditionnelles en tant que femme sculpteur à une époque où le domaine artistique était dominé par les hommes. Son œuvre, marquée par une grande sensibilité et une profondeur émotionnelle, a ouvert la voie à d’autres femmes artistes pour qu’elles puissent être reconnues pour leur talent et leur vision artistique unique.
- Innovation dans l’expression :
- L’œuvre de Claudel est souvent caractérisée par une exploration intense des émotions humaines et des relations complexes. Ses sculptures comme “La Valse” et “L’Âge mûr” montrent une maîtrise exceptionnelle de l’expression et du mouvement, influençant ainsi la façon dont les émotions sont représentées dans la sculpture.
- Impact sur la sculpture moderne :
- Claudel a été une pionnière dans l’utilisation de matériaux et de techniques qui ont influencé la sculpture moderne. Son approche audacieuse et expérimentale a inspiré de nombreux sculpteurs contemporains et modernes à repousser les limites de leur art.
- Reconnaissance posthume :
- Bien que Claudel ait été négligée pendant une grande partie de sa vie et après sa mort, sa reconnaissance posthume a été immense. Des expositions et des études récentes ont réévalué son travail et sa contribution à l’art, solidifiant son héritage en tant qu’une des grandes sculptrices de l’histoire.
Conclusion
Camille Claudel, avec sa fusion unique de réalisme et d’expression émotionnelle, a laissé un héritage indélébile dans le monde de la sculpture. Son travail continue d’influencer et d’inspirer les artistes contemporains, soulignant l’importance de la sensibilité artistique et de l’innovation dans l’art.
Merci le Getty pour cette belle exposition gratuite!!!